Critique Manga Sex & fury

"Manga de gare"

Ce "Sex and Fury" est en premier lieu le siège d'une édition magnifique, il n'y pas d'autre mots, non seulement avec une couverture au vernis argenté et une superbe qualité de papier, mais surtout avec des compléments éditoriaux de grande qualité. Il y a notamment beaucoup de lecture au début sur la vie de l'auteur, plusieurs interviews (dont celles de l'auteur quelques années avant sa mort) et une gallerie d'illustrations très fournie en fin de tome. Bref, sur près de 450 pages, on nous sert le menu dans un hôtel 5 étoile. C'est aussi intéressant car les histoires proposées sont regroupées en plusieurs thématiques, dans une tentative louable de synthétiser au mieux ce qu'a pu être l'oeuvre de l'auteur en un seul tome. Là, on se dit que l'on a vraiment un beau livre sur un auteur qui n'était pas encore connu en france et qui a marqué son époque. D'ailleurs ses histoires se placeraient, comme dans la forme ou les thématiques, à côté de celles d'auteurs comme Takao saito (Golgo 13) ou Kazuo kamimura (lady snowblood) mâtiné d'une pincé de Shotaro ishinomori.

Le gros problème, c'est surtout que l'auteur, étant très prolifique (il arrivait à travailler sur 10 séries en même temps) était clairement quelqu'un qui abattait les histoires à la chaîne et qui a privilégié la quantité à la qualité...Ses scénarii sont assez basiques et attendus, son trait est parfois brouillon et expédié et quoi qu'il en retourne, il n'a pas du tout atteint la profondeur des grands auteurs que j'ai cité plus haut (messages inexistants, émotion absente ou factice). Eux passent facilement à la postérité (au delà même de dire que leurs oeuvres ont très bien vieilli) alors qu'ici ce n'est clairement pas le cas. C'est un peu comme différents peintres d'une période donnée, qui se connaissaient tous, se côtoyaient dans les même lieux (magazines ici) et semblaient se valoir, mais dont on ne mesure le véritable talent que bien des années après leur mort : la porte des siècles n'est simplement pas ouverte à tous. Ici, on a l'exemple typique de ce qu'on (je) pourrait appeler du "manga de gare" : de la lecture rapide qui va droit au but, pas sans ambition mais sans réelle portée, que l'on dévore distraitement, plus pour s'occuper que pour s'enrichir l'esprit ou pour simplement avoir de vrais frissons d'excitation. D'autant qu'il n'y jamais de planche qui soit véritablement plus que de la simple "narration dessinée" : graphiquement ça ne se transcende jamais et c'est peut être là finalement que le terme "manga de gare" prend le plus son sens.

L'autre problème vient aussi du fait que les planches originales ont été perdues et que l'éditeur français a dû composer avec des scans des magazines d'époque : l'avantage c'est que l'on a droit à beaucoup de pages couleur ou quadrichromiques (ce qui renforce le côté livre luxueux) mais l'inconvénient est aussi que le trait n'a pas la netteté nécessaire, surtout si l'on a la volonté de sortir de l'impression visuelle en demi-teinte de certaines cases ou personnages expédiées graphiquement : ça n'arrange rien donc. Et puis, il y a aussi le fait que "le lézard noir" a dû conserver les publicités d'époque (celles des magazines donc) en encarts, ce qui ne réhausse pas, au contraire, la vision de pages trop "commerciales" (ce qui est étrange en fait, car même dans le cas de scans de magazines pourquoi ne pas avoir tout simplement laissé des espaces vierges/blancs plutôt que ces pubs surannées ? )

Par ailleurs l'auteur était quand même un excellent illustrateur et un tatoueur de génie mais en tant que mangaka, je crains qu'il ne faille pas s'attarder outre mesure. Dieu sait pourtant que je partais positif, étant très féru des 70's dans ce qu'ils ont pu offrir au monde du manga, et les figures fortes (mangaka) qui s'y distinguèrent, mais mon esprit critique ne peut pas tout pardonner. C'est tout de même pour ça que j'ai noté le menu de cet hôtel 5 étoiles, avec une note de 7. Si le plat avait été servi ailleurs, ça n'aurait sans doute valu que 5 ;)