Critique Manga Le pavillon des hommes #19

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Le pavillon des hommes

par Tampopo24 le dim. 6 févr. 2022 Staff

Réhabiliter les femmes dans l'Histoire

Ce n'est pas sans émotion que j'ai acheté puis ouvert cet ultime volume des aventures au féminin des derniers shoguns ayant dirigé le Japon. L'oeuvre féministe proposée pendant plus de 10 ans en France par Fumi Yoshinaga aura été un superbe exercice de style à la fois historique et humaniste qui aura laissé des traces sur ses lecteurs !

C'est ainsi aux côtés des figures marquantes de l'histoire que nous lui disons au revoir avec une couverture où l'on passe lentement avec elles des ténèbres à la lumière, du désespoir à l'espoir. Une oeuvre parfaitement résumée en une image.

Alors certes, il n'est pas simple de s'y replonger pour vivre les derniers instants de cette sorte de monarchie guerrière sur le point de disparaître. L'autrice a énormément de choses à raconter et pour le lecteur non connaisseur de cet instant précis de l'histoire du Japon, cela fait beaucoup de noms, de lieux, de concepts et de moments à ingurgiter. Malgré tout, avec un peu de concentration, on en vient à bout et on se retrouve face au récit fascinant de la fin d'un règne au profit d'un nouveau.

Dans ce tome complexe, j'ai d'abord été passionnée par le récit purement historique des événements qui se jouaient sous mes yeux avec un Empereur cherchant à se débarrasser de la dernière figure guerrière majeure en la personne du Shogun Tokugawa qui a succédé à Iemochi, la onzième femme shogun. Ce jeu d'alliance, mésalliance et surtout de pression fait intervenir aussi bien les puissances étrangères dont ils craignent de manière assez incroyable l'ingérence, que des hommes de pouvoirs importants comme Tenshoin, le père d'Iemochi, le prince Kazunomiya, son mari, ou Katsu, l'ancien amiral. C'est fascinant et complexe à suivre, mais cela en dit long sur la folie de certains dirigeants japonais déjà prêt à tout à l'époque pour gagner, puisqu'ils menacent de réduire en cendre la plus grande ville du pays juste pour leurs ambitions, mais aussi sur leur peur de l'étranger, qui est assez folle également.

Face à cela, nous avons une histoire humaine poignante, qui m'a rappelé dans une moindre mesure le film Le Dernier Empereur de Chine où l'on assiste aussi à la fin d'une ère. Ici, suivre les derniers instants de ces hommes fidèles aux femmes shogun, enfermés dans leur pavillon où ils avaient noué de si belles et émouvantes relations, et fait croître leur passion pour l'art, était bouleversant. On est dans une sorte de bulle, d'espace suspendu où chacun exprime à la fois le bonheur de tout ce qu'il a trouvé en ce si beau lieu, mais aussi la tristesse de le quitter, sans oublier les durs moment que certains y ont vécu. C'est une superbe rétrospective faite avec beaucoup d'élégance et de douceur, où rien n'est oublié. La classe et le charisme fou que dégagent ses derniers représentants y sont pour beaucoup dans l'émotion que j'ai ressenti aux côtés de Tenshoin et Takiyama.

Le récit parallèle de ces deux réalités m'a habitée pendant tout le tome et j'ai eu le sentiment que l'autrice avait su trouver la juste distance pour conter chacun d'eux avec humanité et sincérité, aussi bien dans la dureté et l'absurdité du conflit, que dans la puissance de sa résolution et l'espoir de son "après" où chacun vogue vers de nouveaux horizons dans un Japon enfin ouvert au monde et au progrès comme avaient tenté de l'insuffler certains shogun déjà.

Le féminisme des propos de l'autrice ont parcouru ce tome avec beaucoup de justesse, du personnage du prince dont la fluidité du genre fut un beau modèle, jusqu'à Tenshoin qui pousse un vrai cri d'amour et d'admiration pour ces femmes de pouvoir passée dont il a su reconnaître le talent à égale mesure des hommes. Il y a un discours fort intéressant sur l'écriture de l'Histoire par les hommes, par les puissants, par les vainqueurs, effaçant de celle-ci les femmes qui ont pourtant joué un rôle. Je sais qu'ici que nous sommes dans une uchronie et que bien sûr les shoguns étaient en réalité des hommes dans la vraie histoire du Japon, mais ça n'empêche pas le propos de l'autrice d'être juste quand on voit le nombre de femmes dont on a effacé les réalisations pour les attribuer à des hommes aussi bien dans le domaine politique, scientifique que littéraire, et il est bon que désormais on rétablissent la réalité, alors ce genre d'oeuvre, même de fiction, promouvant cette dynamique est bon.

En bref

Peut-être que ce sera la dernière oeuvre de Fumi Yosihnaga qu'on aura la chance de lire en France vu ses faibles ventes, mais je suis heureuse que des gens chez Kana ait eu l'intelligence de le proposer et le courage de le finir, car c'est une oeuvre importante. Elle fut d'abord un très beau drame humain avec des romances qui m'ont déchiré le coeur. Puis, elle fut peu à peu une oeuvre politique et historique passionnante avec des personnages humains puissants aux devenirs pas seulement romantiques mais bien plus large où histoire, politique, science, humanisme et ouverture furent essentiel. Une grande oeuvre à découvrir pour avoir un aperçu d'un tournant majeur au Japon mais aussi soutenir la réhabilitation des femmes dans l'Histoire, soutenir l'égalité des sexes, soutenir l'universalisme.

9
Le pavillon des hommes
Positif

Une très grande oeuvre féministe et humaniste

Un ultime volume passionnant sur la fin d'un régime guerrier

Des échanges politiques qui en disent long sur le Japon

Un récit de fin de règne intime

Des hommes célébrant la beauté et la force des femmes

Beaucoup d'émotion et une fin juste, ouverte et lumineuse

Un trait sublime et poétique

Negatif

Des données historiques assez denses

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