Critique Manga Our Colorful Days #1

8
Our Colorful Days

par Tampopo24 le jeu. 9 juil. 2020 Staff

Adolescence, Peinture et Homosexualité

J'ai découvert Gengoroh Tagame il y a quelques années avec son très beau Mari de mon frère, une saga publiée également à l'époque chez Akata et qui proposait une histoire sur l'homosexualité masculine bien différente des crédos du Boys Love, seul autre biais pour le lecteur en général de tomber sur ce type d'histoire dans les mangas. Ce fut un uppercut en plein coeur tant j'avais été touchée par ce que le titre disait sur la communauté homosexuelle et sa perception au Japon à travers le regard d'une petite fille et de son père. Alors forcément, quand l'éditeur récidive et propose la nouvelle série de l'auteur, je ne peux qu'être au rendez-vous.

Cependant, ne vous attendez pas à un Mari de mon frère bis, ce n'est pas du tout le but de l'exercice, ici. On est plus proche dans ce récit de celui vécu par le héros d'Eclat(s) d'âme, puisque nous suivons également un lycéen homosexuel qui n'a pas encore fait son coming-out et qui étouffe de plus en plus à cause du poids de ce secret. Il va faire une rencontre inattendue, un jour au bord de la mer, qui va l'aider à vivre mieux son orientation sexuelle. Et tout comme dans Eclat(s) d'âme, il va trouver un lieu et des personnes pour l'écouter.

C'était déjà le cas dans le Mari de mon frère mais j'aime beaucoup le ton du mangaka. Il plante des décors très simples, part de personnages banals, pour mettre en place des histoires fortes et marquantes. Ici le héros, Sora, est un lycéen lambda, la seule chose qui le démarque, alors que ça ne devrait pas être le cas, c'est le fait qu'il aime les hommes et n'en dit rien. Il étouffe à ne rien dire, à toujours porter un masque et ce mal être s'ajoute à celui que ressentent souvent les adolescents pour plein de raisons. Il n'arrive pas à être proche des autres comme il l'aimerait parce qu'il ne peut pas être 100% lui-même avec eux et c'est très triste. On démarre vraiment l'histoire avec le poids de ce secret et la sensation d'écrasement et d'étouffement avec lesquels vit le héros.

Heureusement, Gengoroh Tagame est quelqu'un d'optimiste et très vite, il va introduire des biais qui vont permettre au héros de respirer à nouveau. Il y a d'abord sa passion pour l'art, que l'on ressent dans le regard observateur qu'il pose sur tout et dans sa quête incessante des couleurs de la vie qu'il nous fait partager. Il y a ensuite cette rencontre fortuite, presque fantastique, qu'il fait au bord de la place et qui va le conduire vers LE lieu qui deviendra son havre de paix. Ça m'a beaucoup rappelé Eclat(s) d'âme et j'ai aimé retrouver cet élément scénaristique car le héros en avait réellement besoin car autrement il n'avait aucun lieu où être lui-même que ce soit chez lui ou au lycée, tant tout le monde s'attend à ce qu'il soit "normal".

Ce sera d'ailleurs l'un des sujets phares de cette série, je pense. Le mangaka insiste à plusieurs reprises pour montrer qu'être homosexuel ne devrait pas être considéré comme "hors norme" mais au contraire être normal comme l'est le fait d'être hétérosexuel, qu'on ne devrait pas avoir à faire son coming-out, tout comme on ne le fait pas quand on est hétéro. Ça ne fait que mettre une pression supplémentaire sur les épaules des jeunes qui n'en ont pas besoin. De plus, ça incite une culture homophobe pas forcément malveillante mais plutôt blessante faute de l'ignorance de ceux qui rigolent et se moquent des homosexuels sans le savoir. Cela favorise une ignorance dangereuse et un manque d'ouverture cruelle, car on ne peut pas être tous pareils, c'est dans la nature d'être différents les uns des autres, d'avoir nos particularités. Ici, j'ai trouvé que c'était montré à la fois avec force et subtilité et ça m'a plu.

Cette subtilité, je l'ai retrouvé de nombreuses fois dans la composition des pages avec la mise en scène très poétique voire philosophique des émotions de Sora. Alors que le trait de Gengoroh Tagame est plutôt carré et massif, il parvient à dégager une grande douceur dans les moments clés, donnant envie de protéger son jeune héros à la dérive. J'ai vu que dans la publication numérique qu'avait proposé Akata, les pages d'ouverture des chapitres, qui sont en fait des tableaux du héros de l'histoire, étaient colorisées de très belle façon également, avec une ambiance très douce, ce qui montre encore une fois la richesse des émotions que peut dégager le travail du mangaka. Il met vraiment très bien en lumière tout le cheminement de son héros.

En bref

Ainsi dans Our Colorful Days, le questionnement du héros autour de sa sexualité est différent de d'habitude. Il ne se demande pas pour qui il éprouve du désir, il le sait déjà. Il se demande plutôt comment concilier cela et la vie dans la société japonaise actuelle (ce qu'on peut facilement élargir à la nôtre, soyons honnête). C'est un cheminement compliqué, intime et solitaire dans lequel il a la chance de trouver des gens à qui se confier au fil de l'histoire. Nous n'en sommes qu'au début mais l'on ressent déjà très bien tout le potentiel de l'histoire à travers ces thèmes si bien développés et si terriblement d'actualité. Pour ma part, j'ai adoré.

8
Our Colorful Days
Positif

Un beau questionnement sur l'homosexualité et sa place dans la société japonaise dès l'adolescence

Un héros mature, touchant et réaliste

Un ton doux et bienveillant mais honnête

La découverte d'un havre de paix et d'amis à qui se confier

Une narration simple mais efficace

Une mise en scène marquante

Un auteur qui se renouvelle

Negatif

Un dessin un peu trop carré parfois

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