INTERVIEW JOE KELLY & KEN NIIMURA [I KILL GIANTS]

Découvrez notre ITW des auteurs d'I kill giants !

 

Découvrez notre interview de Joe Kelly et Ken Niimura, les deux auteurs d’I kill giants (IKG) :

 

CS : Bonjour Joe Kelly et Ken Niimura, avant tout, pouvez-vous vous présenter pour notre communauté ?

Joe Kelly (JK) : Bonjour, je suis Joe Kelly, le scénariste d’IKG et j’ai travaillé aussi dans tout un tas de choses dans les médias de divertissement comme des films, des comics, de la télé, etc.

JM Ken Niimura (KN) : Je suis Ken Niimura, le dessinateur d’IKG, et en plus d’être artiste de comics, je suis aussi cartoonist.


CS : Parlons d’IKG, pour être honnête, ça fait une grosse dizaine d’années que je lis des comics, avant c’était principalement des mangas, et pas mal d’amis me conseillaient régulièrement votre oeuvre. Mais lorsque je regardais les différents visuels, je voyais cette petite fille avec un gros marteau et des géants, je pensais que c’était un comic-book d’action mais en réalité, après lecture c’est tout l’inverse. Donc voici ma question : comment avez vous imaginé ce récit qui balance entre fantastique et drame ?

JK : Eh bien, à la base IKG vient de problèmes personnels qui se passaient dans ma vie. A cette époque, ma fille devait avoir environ six ans et j'imaginais à quoi pourrait-elle ressembler si elle traversait des circonstances similaires en étant devenu, comme nous, une geek ou une nerd. Car j'essayais de la faire entrer dans les superhéros et Dungeons & Dragons mais ça n’a pas fonctionné.

© 2018 Joe Kelly & JM Ken Niimura

On retrouve tout de même du D&D dans IKG

CS : Dommage !

JK : Oui mais elle aime les bons films, c'est déjà pas mal ! [rire] Et donc, cette idée a commencé à se construire autour de cette fille qui croit qu'elle doit tuer un géant.

Il faut dire que j'aime les histoires d’adultes avec de jeunes protagonistes. C'est une de mes choses préférées donc une partie de la narration que Ken fait si bien est que tout est du point de vue de Barbara avec peut-être une ou deux scènes différentes. De cette façon, la fantaisie dans la réalité se mélange à un point où vous pouvez vous questionner sur ce qui est réel ou non. C'est au lecteur de décider et je voulais ce genre de fluidité dans cette histoire.


CS : Par conséquent, le fanstastique a une part importante dans la série, Ken, comment avez vous designé l’ensemble de cet univers ? Était-ce amusant de la mettre en scène ?

KN : En fait, avec IKG, Joe avait déjà écrit l’intégralité de l’histoire à la base. Puis je crois que nous avons pris presque neuf mois ou plus d'un an à travailler sur les designs et les storyboards, comme une pré-production. C'était la première longue bande dessinée que je faisais, j'étais très tendu et c'était bien d'avoir le temps de tout faire petit à petit car je n'étais pas sûr de moi. Je me demandais même comment je pouvais y arriver et c'était génial d'envoyer des croquis à Joe, d'obtenir ses conseils, puis de les redessiner.

© 2018 Joe Kelly & JM Ken Niimura

Il est possible de découvrir plusieurs croquis de cette phase en bonus

C'est un processus que vous n'auriez pas si vous deviez faire un travail plus classique où vous devez être plus efficace, vous ne pouvez pas prendre tout votre temps. Mais dans notre cas, nous l’avions, alors on en a profité.
Et, maintenant que nous avons vu le film, j'ai l'impression, lorsqu’il s'agit de comics, que nous avons beaucoup d'avantages. Par exemple, lorsque vous essayez de traiter des choses fantastiques, vous pouvez en tirer bien plus que dans les films. Et c'est quelque chose de génial parce que je peux même dessiner une petite chose étrange, les gens sont plus disposés à croire ce qui a été dessiné par rapport à un film. Au final, une fois que nous avions fini les designs et les scripts, c’était amusant de les dessiner. C'est quelque chose que vous pouvez faire plus aisément dans les comics. Donc oui, c’était très amusant, et le processus fut simple pour faire le comic-book.

JK : Je voudrais juste ajouter quelque chose. Ken est totalement modeste ici. c’est un artiste génial qui peut dessiner dans beaucoup de styles différents. Il m'a demandé si ça ne dérangeait pas de dessiner dans un style manga parce qu'il pouvait le faire bien plus vite et, du coup, le processus de conception fut très complet. Il est venu avec les oreilles de lapin et 97 dessins de Coveleski [NB : le marteau] et tout. Ken est juste très modeste, il a travaillé très très dur.

KN : Parce que j'étais très stressé, nous devions rendre IKG bon !

JK : [rire] C'est sûr. Il mérite d’être crédité, il a énormément travaillé et lorsqu'il me livrait des croquis, je disais juste des commentaires comme “oh c'est cool” ou “ne mets pas un petit géant au géant…” enfin vous voyez...

© 2018 Joe Kelly & JM Ken Niimura 

KN : Mais ces remarques étaient utiles ! C'est un peu comme une donnée d’entrée que vous ne pourriez pas avoir quand vous travaillez… disons... chez Marvel. Lorsque vous faites une série chez eux, on vous donne un script et cela doit être fait en un mois. C'est un peu l'avantage de faire des romans graphiques, vous savez que vous avez un peu plus de temps pour mettre les bons éléments dedans et quand vous pensez que c'est prêt, vous pouvez le sortir.


CS : A la fin de l’album, nous avons quelques commentaires et des planches humoristiques où il semble que parfois c’était difficile de travailler avec Ken et sa culture européenne, notamment avec cette fameuse histoire de géant au “membre” démesuré… Est-ce si difficile de travailler avec nous ?

JK : [Rires] Non, non bien sûr. Ce n’est pas difficile mais c'est juste que nous avons des aspects différents dans nos cultures. D’ailleurs, cette partie sur les géants nus était très drôle, et juste l'idée qu'en Amérique où tout le monde est tellement raide et nerveux à ce propos, c’est assez ridicule. Il y a d’ailleurs à l'hôtel, où nous sommes, 2 statues nues, c’est pour dire ! Mais oui c’était une anecdote amusante. Sinon j'ai été chanceux d’avoir souvent travaillé, dans les comics, avec des artistes européens et d’Amérique du Sud. J’ai beaucoup travaillé avec Pasquale Ferry et je viens de renouer contact avec German Garcia. Il avait disparu depuis un moment. Donc, j'étais surtout avec des gens en dehors des Etats-Unis et vous savez, Ken est un génie qui a plusieurs cultures avec le Japon ainsi que l’Espagne. Donc…

KN : Mais ce qui est aussi amusant sur le marché américain, c’est que vous avez des gens de toute part, même à Hollywood, pour les films. Chacun a différents backgrounds vu que les auteurs ont tous différents horizons, mais nous recherchons tous un moyen de faire quelque chose pour le public US. Les personnes comprendront ou non et diront par eux-même s’ils l’accepteront ou non. Par exemple, dans IKG, il y a une tonne de fées nues mais j'ai l'impression que dans un film ce sera plus difficile de le faire. Déjà il serait classé pour les +18ans je suppose...

JK : Oui probablement

KN : Donc voila j’ai l’impression que dans les comics, ça reste moins compliqué, vous voyez ?

CS : Oui, vous êtes plus libre en réalité.

KN : Oui, tout à fait.

© 2018 Joe Kelly & JM Ken Niimura 

 

Pourtant la nudité ne vole pas bien haut

 

[Attention : la suite de l'interview révèle des éléments importants de la saga]

CS : Revenons sur IKG, pour moi, on nous narre le voyage d’une petite fille - Barbara - qui doit surmonter sa peur de la mort ou la faiblesse de sa mère, Quel est le vrai message de la série?

JK : Pour moi, c'est très simple : ça se résume par “nous sommes tous plus forts que ce que nous croyons”. Vous savez comme je le disais auparavant, la genèse de l'histoire est venue lorsque mon père avait eu le diabète et était à l'hôpital depuis un moment et a fini par perdre sa jambe. C'était la première fois que je pensais à mes parents mourants et j'étais déjà adulte. A vrai dire, ça ne m'était même jamais venu à l'esprit. Puis, j'ai commencé à penser aux jeunes qui perdent leurs parents. C'est cette réflexion qui a créé ce récit.

© 2018 Joe Kelly & JM Ken Niimura 

La peur est au centre de cette histoire

C’est de là que vient Barbara et cette anticipation de la peur qu'elle doit surmonter comme vous disiez. En fait, lorsque vous vivez dans l’instant, vous faites face à tout ce qui vient à votre rencontre. Mais si on anticipe ce moment, c’est alors qu’on imagine nos réactions ou ces situations qui finissent par nous inquiéter et nous rendre malade. Et c’est là que l’on pense être faible. Pourtant sur le moment, on est en réalité plus fort que ce que nous pensons.
J'ai souvent été face à cette situation dans ma vie. Il semble que j’ai toujours été lié à “I kill Giants” d’une façon très étrange. Mais c'est vraiment le message pour moi. Et il y a évidemment d’autres couches de lecture comme sur le fait d’être soi-même, être indépendant tout en croyant en ce que nous sommes, ne pas s’isoler, et s’ouvrir à l’amitié. Il y a beaucoup de messages dans l’oeuvre.
Mais le message [principal] est surtout pour ces gens qui pourraient traverser une période difficile pour qu’ils puissent la gérer.
D’ailleurs, lors des conventions de comics, les gens viennent à nous et nous disent : “oh mon père était malade” ou “ma mère était malade. J'ai lu ce livre et il m'a aidé à traverser cette période”. C'est un moment incroyable [pour nous]. C'est vraiment le plus beau cadeau que IKG m’ait offert. Voir constamment des personnes nous dire que ce livre les ont tellement aidé à traverser ce genre de situation, qu’ils le lisent chaque année. C’est un cadeau incroyable dont je suis très reconnaissant.

CS : D’ailleurs, pour moi, IKG pourrait très bien être un guide pour affronter ce genre de situation. Dans mon cas, ma mère a été également gravement malade.

KN & JK : Oh désolé

CS : Pas d’inquiétude, elle a fini par s’en sortir, mais j’ai trouvé intéressant de comparer la situation de Barbara avec la mienne, ça pourrait être un parfait manuel qui montre qu’il ne faut pas s’isoler, l’importance des amis ou de séances de psychanalyse dans ce genre de situation. C’est une manière ludique qui s'avérerait utile je pense.

JK : Oh merci

CS : Et pour vous, Ken, avez-vous une lecture différente d’IKG ?

KN : Non, je suis d’accord avec Joe. Mais la beauté de la saga est, qu’en tant que créateur, vous voulez sortir des oeuvres qui atteignent les gens, qu’elles signifient quelque chose pour eux.

Il y a des tonnes de bandes dessinées qui traitent de la mort ou de la peur, mais c’est loin d’être simple de faire une série où vous voulez faire passer ce message “vous êtes plus forts que ce que vous croyez” et qui va sensibiliser les lecteurs. C'est pourquoi vous devez faire une histoire autour de cet objectif. Je pense que la beauté d'IKG vient surtout de Barbara, du fait de tout voir à travers ses yeux.

© 2018 Joe Kelly & JM Ken Niimura 

Barbara, un personnage avec une folle créativité ?

C'est marrant, Joe est très doué pour écrire des personnages très forts comme Deadpool par exemple. Ils sont tous en quelque sorte connectés. Ils sont des variations de personnages “bad ass”. Dans le cas de Barbara, c’est sa nature humaine qui transparaît. Et c'est pourquoi, quand j’ai commencé à dessiner la série, j’arrivais déjà à rentrer totalement dans l’histoire grâce à ce point de vue particulier. Et vous pouvez lire le récit entier et comprendre parfaitement le message du comic-book sans grande difficulté. C’est la grande force du récit. Et je pense que les lecteurs l’ont tous saisi. Nous l'avons vu au Japon ou en Europe ou aux Etats-Unis.

Du coup, grâce à Barbara, je pense que tous les lecteurs sont capable de comprendre l’histoire qui se cache derrière. Dans ce sens, nous sommes vraiment bénis. Il est rare d’avoir une réaction similaire pour des personnes du Japon, des États-Unis ou de la France.


CS : D’ailleurs, comment avez-vous fait pour faire ressortir l’aspect humains à travers les dessins ?

KN : D’abord, on a choisi de faire IKG en noir et blanc…

CS : J’allais vous questionner sur le sujet !

KN : (Rire) En fait, il a plusieurs raisons pour ce choix. Tout d’abord, pour une notion de planning, c’était plus facile et moins compliqué de choisir ce style. Mais d’autre part, le noir & blanc permet de mieux se concentrer sur les détails. Du moins, lorsqu’un comic-book a de superbes couleurs, ils sont géniaux mais parfois vous vous perdez dans les couleurs. Alors que le N&B permet de se concentrer plus sur l’histoire. C’est pour ça que je trouve le N&B incroyable.

Bien évidemment, j’aime les mangas donc on retrouve cette influence. Et concernant le style, lorsque j’ai rencontré Joe, je lui ai soumis un grand nombre de petites histoires avec différents styles. On s’est dit que c’était approprié pour que ça soit un style très simple parce qu’il permet une meilleure communication des sentiments avec les expressions de visages. Les mangas sont très bon dans ce domaine, même pour le design d’ailleurs, on l’a épuré pour le rendre essentiel et lisible.

© 2018 Joe Kelly & JM Ken Niimura

Ainsi, avec le N&B, vous pouvez plus vous concentrer sur les personnages et leurs comportements. Je pense aussi, qu’à la fin, ça aide les gens à mieux recréer l'histoire et c'est peut-être l’une des raisons où nos lecteurs se sentent plus humains d’une certaine manière.

CS : Pour finir, avez-vous un dernier mot pour le public français ?

JK : Avant toute chose, je tenais à dire que nous sommes tellement heureux d’avoir une si belle édition en France, elle est fantastique. On est vraiment fier de cette dernière, ça fera un magnifique objet dans l’étagère. Ca me rend très heureux.

Et j'espère que les gens feront au moins un essai, vous savez, beaucoup de personnes m’ont expliqué qu’ils utilisaient IKG comme une passerelle pour leurs amis qui n'aiment pas la bande dessinée, qui n’en ont jamais lu dans leur vie. Ils l’ont lu et l’ont aimé et après ils voulaient subitement lire des comics. Je vous dirais donc que l’oeuvre est une parfaite passerelle pour les personnes qui ne pensent pas aimer les bds.

Mais nous sommes en France, vous aimez lire les bds car vous avez bon goût. Donc, je vous dirais que si vous voulez être émotionnellement défié et surpris par une petite fille avec un marteau géant qui combat les géants, cette série est faite pour vous.

La plupart des personnes qui sont venus nous voir, Ken et moi, nous ont dit qu’on les a fait pleuré. Je n’arrivais pas à y croire. Rien que pour ça, je vous invite à donner la chance à notre oeuvre.

CS : Merci beaucoup Joe et Ken, c’était très intéressant.

JK & KN : Merci à vous.

 

Découvrez Joe Kelly et Ken Niimura à travers leur oeuvre : "I kill giants"

Barbara Thorson est votre nouvelle héroïne préférée : une collégienne à la langue bien pendue que rien n’effraie. Mais de quoi devrait-elle avoir peur ? Après tout, elle est la seule fille de son école à trimballer un marteau de guerre nordique dans son sac et à tuer des géants au petit déjeuner… Enfin, ça, c’est ce qu’elle vous dira. Mais où s’arrêtent les fantasmes et où commence la réalité dans l’esprit d’une jeune fille si fragile ? Et si elle disait la vérité ? Conçu par Joe Kelly et J.M. Ken Niimura, I Kill Giants est l’histoire douce-amère d’une jeune fille qui lutte pour combattre ses monstres, tangibles ou métaphysiques, tandis que ses mondes. Et si les géants étaient trop grands pour celle qui n’est encore qu’une enfant ?

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Source: Interview réalisée par Blackiruah. Un grand merci à Déborah Zitt et Hi comics pour avoir permis cet entretien.

Blackiruah

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