Critique Manga Nuisible #1

Loin d'être totalement inconnu en France, Hasaya Hokozono revient avec l'un de ses récents titres (2015) sous le label big kana regroupant des auteurs avec un regard sans concession sur la société et s'adressant généralement à un public adulte. Attirée par le synopsis rappelant vaguement le film faculty et ayant apprécié le travail du mangaka sur Emerging sorti chez kurokawa, je me lance avec un plaisir certain dans cette courte série en 3 tomes.

"Je fais le même rêve depuis près de dix jours... Dans ce rêve pénétrant, je me retrouve dans une barque entourée de cadavres flottant a la surface de l'eau... Ensuite, elle arrive portée par le courant... Cette fille..."

Ryoichi Takasago est un lycéen ordinaire, sans problème particulier. Si ce n’est qu’il fait, depuis quelque temps, des rêves très étranges peuplés de morts, et d’une jeune fille qui, derrière une beauté irrésistible, cache un monstre cannibale. Un jour, une nouvelle élève arrive dans sa classe. Kikuko Munekata ressemble comme deux gouttes d’eau à la fille de ses cauchemars. Au même moment, Tokyo est touchée par une canicule inhabituelle. Les insectes, des fourmis aux sauterelles, ont un comportement agressif et attaquent les animaux domestiques…

Quand votre pire cauchemar devient réalité

Dès les premières pages, le lecteur est appelé à vivre un cauchemar angoissant et réaliste au côté du principal protagoniste. Le ton est rapidement donné à travers cette expérience immersive instaurant un huis clos suffoquant et efficace captivant rapidement le lecteur par l'intrigue proposée. En effet, on a tous fait ce genre de cauchemar où la frontière entre réalité et rêve finit par se confondre. L'auteur fait ainsi habillement appel a notre ressenti si bien qu'on comprend parfaitement l'inquiétude de notre jeune héros qui fait ce cauchemar à répétition et qui se demande s'il ne serait pas prémonitoire. Le fait que le jeune homme se réveille en hurlant en plein milieu des cours me fait légèrement penser à l’une des scènes de Freddy, les griffes de la nuit. D’entrée de jeu, la mise en scène des évènements apparaît comme bien pensée respectant les codes des bons vieux films d'horreur.

Ce ne sera d'ailleurs pas la seule référence qui me viendra en tête durant la lecture. En effet, certains événements étranges vont peu à peu se manifester avec l'apparition massive et anormale d'insectes souvent annonciatrice d'événements funestes. Riyochi empruntant le chemin du retour avec ses amis va d’ailleurs très vite remarquer que quelque chose cloche. Concernant ce dernier, on en apprendra pas énormément sur lui durant ce premier tome. En effet, l’auteur se concentra davantage sur son personnage phare, Kikuko. Cela dit, la tournure que vont prendre les évènements lui permettront peut être d’occuper le devant de la scène par la suite.

Les humains vivent dans le monde des insectes

On en viendra donc rapidement à faire connaissance avec une nouvelle élève intégrant le collège de Riyochi et qui ressemble étrangement au monstre de son cauchemar. Outre la ressemblance physique avec une certaine Sawako, incarnation typique de la jeune femme possédée au Japon, ses premières paroles lui conféreront une aura des plus singulières et étranges donnant terriblement envie d’en découvrir davantage sur elle d'autant plus que l'auteur parviendra à entretenir le mystère révélant petit à petit sa véritable nature. Il est très appréciable de voir l'auteur prendre son temps pour faire doucement grimper la tension et ainsi soigner l'entrée en scène de la jeune fille.

Sa relation avec notre jeune héros va d'ailleurs déjà connaître une réelle évolution dans ce premier tome. D'abord effrayé de voir Kikuko devenir nouvel élève de sa classe, Riyochi ne pourra pas s'empêcher d'observer la jeune fille jusqu'à même en être fasciné. Le décalage entre ses réactions et celles des autres va d’ailleurs attirer l’attention de la jeune fille sur lui et finira même par la mettre mal à l'aise.

Un point intéressant qui laisse a penser que la psychologie de la jeune fille semble bien plus complexe qu'on se l'imagine et donc la rend difficile a cerner ; l’auteur prend un malin plaisir à nous balader révélant une kikuko gentille et serviable pour ensuite confirmer nos pires frayeurs . Même lorsqu'on aura une idée de sa véritable nature, on continuera à se demander au vu de son comportement ambigu à qui on a affaire exactement rendant ainsi la lecture tout a fait excitante.

Une intrigue qui se déroule en deux temps

Si l'intrigue donne l'impression d'évoluer doucement, l'ensemble reste bien rythmé et on découvre tout de même pas mal de choses sur la belle et mystérieuse Kikuko.

En parallèle, on se retrouvera à la morgue en compagnie d’un cadavre comportant des blessures intrigantes et d’un mystérieux chercheur qui semble faire le lien entre ses étranges phénomènes et une certaine jeune femme.

On aura d'ailleurs de nombreuses réponses à nos questions grâce au chercheur qui semble la traquer avec une certaine obsession, ses révélations seront des plus surprenantes et sa personnalité de savant fou en feront un personnage des plus intéressants en très peu de temps; se basant sur un phénomène bien réel de notre monde, le petit côté recherche scientifique parvient à donner de la profondeur au récit et piquer a vif notre curiosité.

Enfin, Riyochi sera le témoin d’un événement étrange et ses agissements finiront par le conduire à sa perte. Durant ce passage, la réaction quelque peu illogique de notre jeune héros viendra légèrement gâcher ce premier tome qui jusqu'ici faisait un sans faute. On se demande un peu ce qui lui est passé par l'esprit mais les conséquences de son acte donneront tout de même très envie de découvrir d’une part les réelles intentions de Kikuko et d'autre part l'implication de ce que vient de subir notre jeune héros. La dernière page laisse à penser que le jeune homme est loin d'être arrivé au bout de ses peines concluant ce premier tome sur une note frissonnante.

L’auteur s’est lancé dans un pari osé en confiant les graphismes à une artiste faisant ses débuts dans le manga, un univers qui respecte tout un tas de codes et nécessite une bonne connaissance en la matière. Quand on voit le résultat, on se dit qu’il a très bien fait. Comme il le dit lui-même, l’auteur a été bluffé par la compréhension du récit par l’artiste et par son sens de l’esthétisme. En effet, La précision presque anatomique des personnages et le travail effectué sur les expressions contribuent largement à la qualité du titre. La mise en scène réfléchie rend également le tout dynamique et le soin apporté aux décors offre des planches détaillées régalant les lecteurs. Pour une première fois, c’est une réussite ! On peut également saluer la sublime couverture vintage qui donne envie de se jeter sur le titre et lui confère à elle toute seule une aura singulière. Rien à signaler du côté de l’édition.