Critique Manga Jaadugar, la légende de Fatima #1

Les tourments de l'Histoire perso-mongole

Soyons honnête, malgré la belle promo de l'éditeur autour de ce titre, j'avais quelques a priori dus tout simplement au dessin un peu enfantin de l'autrice et à leur rendu très ancré en grand format. Je suis donc contente d'avoir eu l'opportunité de dépasser cela pour découvrir une histoire extrêmement riche et puissante, qui résonne fort en nous en ce moment.

Depuis 2021 Tomato Soup nous propose avec ce josei d'aller à la rencontre d'un peuple souvent méconnu : les Perses, à travers l'histoire d'une petite fille d'abord esclave au sein d'une famille de scientifiques perses, puis sur les routes après les attaques des troupes mongoles du XIIIe avec les célèbre Gengis Khan et ses fils. Comme ont pu le faire avant lui des titres comme Bride Stories ou Isabella Bird, Jaadugar ouvre notre regard à ces cultures autres, à cette histoire souvent raconté avec un regard assez biaisé pendant longtemps en Occident. 

Alors oui, le dessin de Tomato Soup m'a surpris d'abord. Sorte d'hommage aux premiers mangas à la Tezuka, il a cette rondeur enfantine qu'on trouvait chez le maître et qui donne des allures d'enfants mêmes aux adultes. C'était le cas aussi chez Tezuka dans son célèbre Bouddha dont je retrouve certains échos ici. Mais l'autrice se l'est approprié pour en faire un vrai vecteur culturel t retranscrire par son dessin les particularités de ses cultures. Elle a ainsi construit un dessin très riche en traits et motifs, qui viennent compléter la simplicité de celui des personnages et qui rappelle un peu les représentations qu'on trouve dans les textes illustrés des Mille et une nuits. Ambiance, ambiance. 

Côté histoire, là aussi, l'autrice s'approprie parfaitement ces lieux et nous offre un discours tout en nuance. Elle est là pour nous faire découvrir et non juger ces peuples et j'ai adoré cela. Ainsi avec elle, nous plongeons dans le quotidien d'une famille perse musulmane et nous découvrons la place de la science et de la connaissance dans leur vécu de la religion, à travers l'adoption d'une jeune esclave pour l'instruire, à travers le voyage d'un jeune garçon pour élargir ses horizons. La relation musulmane est loin de la représentation fermée et archaïque que certains cherchent à donner actuellement ici. Elle est à l'inverse un vrai moteur de savoir et de partage. L'autrice nous parle donc sans tabou de religion, d'esclaves domestiques et on se rend compte de la vision faussée véhiculée. J'avais déjà écouté une excellente émission du Cours de l'Histoire sur France radio qui évoquait cela dans les sérails !

De la même façon, elle s'intéresse au fil des aventures de Stella, qui prendra ensuite le nom de Fatima, au rôle des pénétrations mongoles et aux perturbations provoquées. C'est à nouveau assez cru, brutal, sans concession. Là où elle bousculait nous idées sur la religion musulmane dans la Perse du XIIIe, elle dresse un portrait tout aussi nuancé désir d'expansion de ceux-ci, montrant la violence subie d'un côté par les victimes et c'est normal, mais les désirs de découvertes, de connaissances et de partage des savoirs de l'autre également. Tout n'est pas si simple.

Et notre jeune héroïne se retrouve être celle qui, balancée au milieu de tous ces troubles, va nous faire pénétrer ses univers. Stella doit d'abord s'acclimater à la vie d'esclave, puis perdre cette place durement acquise pour affronter un destin plus cruel et en tirer à nouveau son épingle du jeu. J'ai beaucoup aimé la résilience de cette jeune héroïne, sa curiosité et sa force à toute épreuve. Parfois elle chute, elle vit durement ses pertes et c'est normal, mais ça ne l'arrête pas. Je suis donc très curieuse de voir comment elle va à nouveau s'adapter à cette nouvelle vie, ce nouveau peuple, elle qui déjà souhaite apprendre sa longue et comprendre ses coutumes pour s'intégrer.