Critique Manga Lady vampire

8
Lady vampire

par Willos le dim. 6 oct. 2019

Loufoquyurie vampiresque.

J'étais passé complètement à côté de ce titre. C'est avec la publication de la critique de Pois0n que le visuel du tome 3 m'a interpellé. Dans le doute, je vérifie l'essence des propos, pour m’apercevoir que, ô joie, il s'agit bien là d'une romance entre deux filles. En effet, il n'est pas rare de voir deux héroïnes en couverture, tantôt pour mettre en valeur l'amitié féminine sur un shōjo, tantôt pour affrioler le lecteur sur un shōnen. Cela ne fait pas pour autant des ces titres des yuri. Hors, c'est ce que je recherche, et c'est d'ailleurs le propos de cette critique.

Comment ce fait t'il qu'après presque un an, j'ignorais la publication de ce titre, mais surtout qu'il me fallu lire une critique du tome 3 pour en apprendre la substance ?

Je pense que Soleil a voulu miser principalement sur le « par l’auteur de Prunus Girl », mais comment cela a t’il été vendu, mystère. La série datant de 2015, je ne vois pas l’éditeur japonais, Square Enix, noyer le poisson sur le potentiel d’une série terminée. Soleil n’a pas pu l’acheter à la va vite sans en cerner le contenu des 3 tomes. Une licence en lot ? Était-ce la volonté de placer une romance entre filles dans son catalogue, pour surfer sur la dynamique de Citrus et sonder la niche en minimisant les risques ? Peu importe la raison, pourquoi ne pas l’avoir assumé ? En ne cherchant pas le primo public cible, même en voie hybride, Soleil en viendrait presque à flouer le lectorat shōjo faussement mobilisé, non que ce dernier soit fondamentalement rebuté ou ne puisse pas s’y intéresser de lui-même, pour peu qu’on lui présente correctement et sincèrement. Même le suivi de la promotion sent la queue de poisson. Si le premier tome est inauguré comme une nouvelle série, le tome deux n’est qu’une annonce de sortie sans commentaire particulier, quant au tome final, ne cherchez pas d’article ou de mention d’achèvement de série, ce n’est qu’une ligne dans un planning journalier.

Déjà, voici comment Soleil nous présente cette série :

« Vous connaissez Dracula ? Mais avez-vous déjà vu un vampire insouciant, irresponsable, se reflétant dans les miroirs et enfilant un jogging pour sortir en pleine journée ? Découvrez cette comédie qui casse les codes du genre ! »

Je vous laisserai aussi le loisir de lire le synopsis de la série, et le résumé du tome 1, pour comparer, trois approximations valent mieux qu’une, sauf quand elles vont dans le même sens qui n’est pas le bon.

Si vous avez lu mon préambule, vous comprenez bien qu’il y a déjà un petit problème.

Il y a une polytomie sur la classification de ce titre. Soleil l’a rangé dans sa collection « gothique » de shōjo. En voyant la couverture du tome 1, vous vous dites, une fille en robe dans un escalier (avec une belle rambarde au premier plan), oui, shōjo, et de par son titre, vampire = gothique. Mouais, sauf que c’est une comédie, et ce n’est pas vraiment de l’humour noir. Quant au shōjo, en partant souvent du principe que comme pour le shōnen, le public cible débute a minima autour de l’âge des protagonistes, ici en classe de première, la tranche d’âge visera les plus matures, 15-16 ans. On s’adresse à un public féminin, shōjo oblige, ce qui tombe bien car les personnages sont essentiellement lesbiennes, et comme toutes les lesbiennes sont des femmes, forcément ça plaît aux femmes… (ironie, quand tu nous tiens).

Mais alors, du shōjo qui est du yuri, si on fait la moyenne, ça fait du shōjo-aï. Attendez, je vérifie le magazine de prépublication pour être sûr. Le monthly Gangan Joker, estampillé shōnen. Ok, mais quand on regarde les licences, on est quand même sur beaucoup de contenu ecchi, donc ado/jeune adulte, du seinen qui ne dis pas son nom en somme. D’accord, difficile de le classifier correctement chez Soleil, donc à titre perso, ce sera du yuri, na !

Je m’explique. Jusqu’à la page 64 du premier tome, on pourrait encore croire à un début de shōjo, et là, c’est le drame. Si l’action qui suit aurait pu être présentée sous l’angle de la complicité entre copines, tout dans la mise en scène laisse la place à une lecture à sens unique. Soit la situation est surinterprétée par mon seul esprit trop pervertit par la lecture de yuri, soit il faut avoir 12 ans et être la plus naïve des lectrices de comédie romantique scolaire pour inclure ce passage dans la notion de simple camaraderie. Si toutes les justifications liées à la vampirification pouvaient être utilisées pour légitimer une telle situation, aucune n’est mise en avant, pire, alors que l’iconographie classique du vampire est atténuée depuis le début, on nous sort un original pouvoir « d’hyper stimulation sexuelle » de la morsure ! Rajoutez à cela le double sens du verbe « sucer », dont la version française se fait un mal(sa)in plaisir à utiliser dans la bouche de jeunes filles.

Mais revenons en au début de cette histoire. Premières planches en couleur, et direct, une agression caractérisée, y a pas d’autre mot. Une chance pour Yûnagi, ce sombre individu n’en voulait ni à sa vie, ni à ses biens, ni à son honneur. Elle se réveille donc dans sa propre chambre, face à ses doutes mais surtout face à un grand guignol en survête. On commence alors les présentations, avec le caractère de Yûnagi que l’on comprend bien trempé, et un vampire dénommé Rin, dont le comportement semble moins hostile que sa présence laisserait supposer. Face à la transformation de Yûnagi suite à sa morsure, Rin décide de prendre ses responsabilités et accepte de devenir le maître de cette dernière, qui, passé les premières craintes vites dissipées, subit cette situation avec fatalisme et détachement.

Elle retourne donc dés le lendemain à l’école, comme si de rien n’était, ou plutôt comme si c’était une banalité du quotidien, qu’elle s’empresse de raconter à sa meilleure amie (ça sert à ça, non ?), en dépit de l’interdiction d’ébruiter ce secret formulée par son maître la page d’avant.

On comprend donc dés le début que le ton de cette série est léger, humoristique, avec un second degrés proche de la parodie, mais fondamentalement empreinte de naïveté, et structurant la narration. On pourrait croire et espérer que des thématiques vampiriques soient approfondies, même sur le mode humoristique, mais non, je vous le dis tout de suite, c’est même le contraire, le parti pris de la comédie sert à éluder ces questionnements, alors que ce n’est aucunement incompatible. Occulté d’un point de vue de l’univers j’entends, car d’un point de vue du lecteur, on ne peut s’empêcher de se poser les questions que les personnages ne se posent pas eux mêmes, et par le fait pourquoi ils ne se les posent pas.

J’ai abordé cette histoire avec une culture générale du vampire très commune, leur mythologie telle qu’elle globalement représentée en sous-intrigue ou clin d’œil dans les œuvres de fiction, sans m’intéresser à un univers complet à la Twilight et compagnie ; ma plus grande immersion étant l’extension de la Garde de l’Aube dans Skyrim. Pourtant, exploiter le sujet aurait été un plus pour ajouter des intrigues, de la profondeur ou encore des blagues. Mais non, du gâchis. On nous dit, au Japon, un vampire apparaît par morsure tous les 10 ans. Et ? Par rapport à quoi ? Au nombre de morsures ? De vampires ? Leur origine ? L’origine des mordus ? Le climat ? Qu’on nous le présent dans le premier chapitre, c’est un chose, mais qu’on ne revienne pas dessus pour en faire une petite intrigue ou quoi que ce soit, c’en est est une autre. Et c’est pareil pour presque toutes les caractéristiques vampiresques connues ou adaptables ici. Le pire, c’est que l’autrice (j’eus cru que c’était un homme, mais en fait non, la représentation des apartés est confuse, leur traduction aussi), nous explique sur le rabat qu’elle a accumulé une montagne de documentation sur le sujet. Cela valait le coup...

Pour la romance, là en revanche on est servit, je dirais même qu’on est fan-servit. La relation des deux jeunes demoiselles est naïve, sincère, explicite, réciproque, sensuelle et la montée en puissance ne tolère pas de rodage. Exit la phase d’apprivoisement succédant leur rencontre, puisque l’on nous les présente meilleures amies (et plus si tournage de pages).

J’ai d’ailleurs une anecdote à ce propos.

Alors que je terminai le premier tome, j’attaquai d’emblée le second. Comme à mon habitude, je décollai l’étiquette du prix, que j’eus laissé après l’achat pour me repérer dans mes lectures. Étrangement, le second tome en était dépourvu. Je m’aperçus ensuite que la tranche fût légèrement abîmée. Je doute que le libraire ait loupé son primo-étiquetage, car il est très pro et je n’ai pas eu d’antécédents. Ce tome a vraisemblablement été rapporté. Soit. Est-ce son état préalable qui aurait été à l’origine du retour ? Peut-être, vous aussi avez vous remarqué ceci sur votre exemplaire ? Mais la trace de ce qui me semblais plus l’aller-retour dans un sac à dos trop chargé, ce n’est pas cela qui va m’empêcher de le lire, au contraire, je me sacrifierais plutôt pour le choisir et ne pas voir partir au rebut un bien non périssable dont l’essence est principalement de l’ordre culturelle. Bref, j’imagine plutôt la jouvencelle lectrice institutionnelle de shōjo, probablement quelque peu déstabilisée par le premier opus, mais n’en ayant pas saisi toute l’intention saphique, persévérant dans son entreprise bibliophile pour se rendre compte stupéfaite de sa méprise à l’ouverture d’un second volume qui ne laisse décemment plus de place à un doute instauré par l’hasardeuse présentation éditoriale dont les tenants et aboutissants n’éclairèrent pas tant mon choix que le sien, en ces mots s’écriant : « Mais c’est des gouines ! ».

Toujours est-il que, même sans ecchi prononcé, ou scènes salaces, je pense que le simple terme de shōjo-aï ne suffi pas à catégoriser le degrés d’engagement et de passion entre les personnages. L’occurrence de l’orientation sexuelle des personnages principaux et secondaires joue aussi dans la balance.

Enchaînons sur les autres composantes de l’œuvre, car je pense avoir assez (trop) insisté sur la caractérisation susnommée.

L’humour est omniprésent, ce qui est un bon point pour une comédie. Vous n’allez certes pas vous taper des barres tout du long, mais le ton reste constamment léger, même dans les rares moments de doute, et il n’y a pas de ressort dramatique. C’est une composante que l’on peut retrouver dans des publications tranche de vie, plutôt côté shōnen scolaire, sans tomber dans le pur gag au cœur d’un Yuru Yuri, mais ça reste minoritaire dans ce qui sort en France, a fortiori en yuri. Difficile d’associer son excentricité parmi le paysage restreint des publications françaises analogues ; en conciliant les deux, tranche de vie et humour, ce qui s’en rapprocherait le plus par sa bonne humeur me semblerait par exemple un Sasameki Koto.

Les blagues n’entravent pas l’intrigue, servent la narration, pas toujours pour les bonnes raisons, car à mettre en parallèle avec la crédibilité des situations. On passe parfois du naïf gentillet au loufoque surréaliste. Ainsi, l’élément surnaturel qui aurait dû être la dimension dans laquelle s’ébat la profondeur de l’intrigue comme l’élément perturbateur comique, se retrouve atrophié scénaristiquement on l’a vu, mais concurrencé par un espace-temps irrationnel qui déforme la perception de réalité, ou de sa transposition fictive.

Le cadre narratif est en effet censé être réel, ou proche de nous. Le Japon est le Japon, le système scolaire est le système scolaire, etc.… Il n’y a pas de réalité alternative, uchronique ou autre. Le monde vampire est occulte, restreint et intégré à la réalité que l’on vous montre, équivalente à celle que vous connaissez. On vous apprend la matérialisation du mythe, mais en restreignant son champ du possible. Cela devrait coller pour intégrer un histoire vraisemblable, mais la façon dont c’est fait décrédibilise chaque situation. D’où le fait que j’en vienne à presque parler de parodie. Car la narration est folle, en premier lieu par son rythme. Les planches, les dialogues, les déroulés d’intrigue, les présentations et le relationnel,… tout s’enchaîne sans temps mort et à une vitesse, de ouf. La situation initiale peut être un effet pour immerger le spectateur, oui mais on ne reviendra pas sur les trois pages du point de départ. Le premier chapitre peut condenser des éléments de présentation pour donner les premières clefs de compréhensions au lecteur, oui mais sans porte-clés multifonction gratuit, on n’ouvrira pas toutes les portes, et on en défoncera certaines avec les murs au passage. La ligne directrice est à sens unique, principale, continue et expresse.

La fluidité théâtrale donne parfois l’impression qu’il manque des bulles, des silences, des ellipses. Pas de prise de tête, les personnages sont sur la même longueur d’onde, presque télé(em)patique.

Par exemple, Yûnagi et Nanase sont amies d’enfance (pas de présentation). Elles sont secrètement amoureuses l’une de l’autre (réciprocité et pas de recherche des sentiments). Yûnagi est directe (pas par quatre chemins) et honnête (pas d’élaboration de mensonge). Nanase est attentionnée (anticipation des problèmes) et dévouée (aide dans le même sens et accélération de la résolution). Il n’y a qu’une vampire en évolution, et chaque personne n’a qu’un objectif à la fois et centré sur la protagoniste. Comme ça c’est réglé. Mais si vous avez saisi ce principe, et vous l’assimilerez très vite, alors tout va comme sur des roulettes.

Et c’est pour cela que je dis que l’humour joue presque à la limite de la parodie. Certains dialogues sont incroyables, dans les deux sens du terme. Car si vous êtes sur des rails, ça ne dévie ni à droite, ni à gauche, sauf pour les joyeux lurons qui se balancent de toute leur bonhomie. Avec l’amplitude, on peut avoir l’impression que l’on n’est plus sur les rails mais au-dessus. Et ça fait des guilis dans le ventre. C’est mentalement ce que je ressens avec les soubresauts de la narration par rapport à l’intrigue. Est-ce dérangeant ? Un peu. Est-ce déplaisant ? Pas du tout.

Car margés les points relevés ci-dessus qui sont un constat, et non une critique à charge, il faut aussi noter les nombreuses bonnes idées et situations qui ponctuent le récit, sans parler des canons du genre qui sont respectés ou pastichés en clin d’œil.

Les graphismes sont maîtrisés au poil, le trait est propre, précis, avec une certaine rondeur et des contours marqués. On sent la patte numérique, et pour cause, l’autrice, qui n’en n’est pas à sa première série, est passé sur celle-ci au numérique complet.

Ce livre risque de vous rester dans les mains, littérairement et aussi littéralement, car le motif de sa quatrièmement de couverture sérigraphiée à l’aspect capitonné accroche tel la sculpture d’une surface antidérapante. On connaît le brillant et la rugosité de cette surcouche plastifiée, mais je ne l’avais encore jamais vu utilisée ainsi. Ce n’est évidement pas intentionnel, mais même si vous n’êtes pas intéressé de vous les prendre, je vous suggère de la caresser si vous en avez l’occasion, pour la curiosité de l’objet.

En bonus, les bonus. Plusieurs pages finales agrémentent la lecture avec des infos de l’autrice sur son travail, ce qui est toujours très appréciable.

Si vous avez lu cette série, je sais que vous allez dire que je suis de mauvaise foi, et que j’attente un faux procès d’intention. Car oui, pour les futurs lecteurs, sachez que mon ressenti à la lecture est concrétisé explicitement par l’autrice à la fin du troisième et dernier tome. Comme c’est malheureusement trop souvent le cas, celle-ci fût contrainte de mettre fin prématurément à son histoire, après le tome... 1, alors qu’elle avait justement planifié son déroulé sur 6 à 7 volumes. Son travail a donc été de condenser sa trame principale et d’y inclure le strict minimum pour la compréhension et la cohérence d’un scénario déjà réfléchi. Les lacunes pointées sur cette série sont ce que j’aurais aimé lire de plus et de mieux, mais qu’elle-même aurait aimé écrire en plus et en mieux. Ce qu’elle a pensé sans pouvoir l’écrire, je l’ai pensé sans pouvoir le lire. En cela, je ne peux pas la blâmer, car elle a réussi à me faire ressentir le même plaisir j’imagine que celui qu’elle a pris à inventer cette histoire, même sans pouvoir tout mettre. La logique propre à la narration poursuit son inertie dans les non-dits, que l'on peut deviner sans trop spéculer.

On aurait bien aimé que d’autres péripéties soient insérées avec la même fantaisie comique, mais par respect pour sa création l’autrice ne l’a pas abandonnée à un stade d’ébauche, elle a tenu à nous gratifier de sa fin, même si celle-ci se retrouve dans un chapitre presque aussi esseulé qu’une post-face. Lady Vampire semblait vraiment lui tenir à cœur et son investissement l’honore.

En bref

Lady Vampire = yuri ! Amoureux du genre, ne passez pas à côté, cette série est aussi rafraîchissante qu'une gorgée de sang (euh... on va changer de formulation). Ce qui est sûr, c'est qu'elle vous fera sourire comme un chauve. J'avoue, j'ai été mordu et je suis sous son emprise.

8
Lady vampire
Positif

Lesbianisme assumé.

Humour.

Rythme endiablé.

Pas de prise de tête.

Procédés graphiques maîtrisés.

Negatif

Amputation scénaristique majeure (origine éditoriale).

Thème du vampire survolé et sous-exploité.

Caractérisation inepte par Soleil.

Willos Suivre Willos Toutes ses critiques (28)
Partager :
Commentaires sur cette critique (0)
Laissez un commentaire