Interview Tuan HollaBack, membre de MS devenu pro

Découvrez l'interview à l'occasion de la sortie de l'artbook Memory Lane

Nous vous avions déjà parlé de ce membre de MS qui avait pour projet de sortir un artbook du nom de Memory Lane (cf Memory Lane, un artbook d'un MSiens sur Indiegogo).

Entre temps, l'artbook est sorti et nous en avons profité pour réaliser une petite interview de Tuan.

 

 

Salut Tuan ! Peux-tu te présenter pour ceux de la communauté qui ne te connaissent pas ?

Ciao Oni! Mon pseudo est Tuan HollaBack et mon vrai prénom est Kim Wang Tuan. J’ai sévi des années durant sur le forum de Manga Sanctuary, dès 2002-2003 si je ne m’abuse. Ça remonte à loin, mon nickname était Juelz Santana, inspiré du rappeur éponyme de Harlem, à New York. Je me suis rapidement bien entendu avec des membres du forum tels que Nookie, Sephi, Opaline, Hikaru no Go, et y ai déposé mon bivouac. Puis j’ai arrêté de fréquenter le forum suite à la désertion progressive de certains membres historiques. Avec l’avènement des réseaux sociaux j’ai fini par arrêter de fréquenter les forums tout court. Mais je garde toujours contact avec la vieille garde, notamment par le biais de Facebook. Je n’ai jamais eu la chance de rencontrer ces membres en vrai, chose à remédier d’ailleurs! Autrement je passe le plus clair de mon temps entre Genève en Suisse, d’où je suis originaire, et Tokyo. Je passe grosso modo la moitié de l’année au Japon désormais.

Plus dans le présent, je suis dessinateur professionnel depuis environ trois ans. J’ai toujours été influencé par le manga. Aujourd’hui je collabore notamment avec des personnalités du rap aux USA et au Japon pour des visuels promotionnels comme des couvertures d’albums. Quoique dernièrement mon champ d’activités s’est quelque peu élargi en terme de collaboration. J’ai créé le logo de la chanteuse Sarah Àlainn, la voix derrière la chanson “Beyond The Sky” de Xenoblade, titre composé par Yasunori Mitsuda (Chrono Trigger, Xenogears, Inazuma Eleven…). Et avec mes fréquents allers et venus au Japon c’est devenu une amie très proche. Son registre est classique, vocal, elle joue du violon. Et avec ses allures de princesse elle m’emmène bien loin du milieu rap auquel je suis habitué. Cet été j’étais avec elle à Tokyo pour l’assister lors de l’enregistrement de son second album “Sarah”. Un des morceaux de l’album est une reprise des “Parapluies de Cherbourg”, et elle avait besoin d’un coach pour la prononciation française. C’est donc bibi qui s’y est collé (rires). Yasunori Mitsuda est d’ailleurs son producteur, et c’était assez drôle de bosser sur une des chansons de Sarah en studio en compagnie de cette légende de la musique de jeux vidéo. Mitsuda est de plus mon compositeur favori, inutile de dire que j’étais comme un gamin quand j’étais avec lui. Le nouvel album de Sarah a été 1er au Japon sur iTunes, Amazon, Billboard… C’est sympa de se dire qu’on y a un petit peu participé.



À la base, je ne me destinais pas du tout à une carrière d’illustrateur, bien que je dessinais pendant mes études pour faire de l’argent de poche. J’ai obtenu un Bachelor en Sciences Politiques et un Master en Sciences de la Communication et des Médias à l’Université de Genève. Autant dire qu’il y a un monde entre ces matières et mon activité actuelle. Je n’ai jamais pris de cours de dessin, j’ai toujours fait ça pour me marrer. Après avoir habité à Tokyo en 2011, je me suis dit que c’était peut-être ma voie. Et voilà, c’est venu quasiment par hasard.

 

Tu fais partie des membres historiques de la communauté MS même si cela fait plusieurs années que nous n’avons pu avoir le plaisir de te croiser chez nous. Te rappelles-tu comment tu as découvert le site et le forum de l’époque ?

J’ai découvert MS aux alentours de 2002, donc je mérite même le statut de dinosaure (rires). Durant cette période je voulais écrire à propos de la culture manga, des analyses de fond de préférence, et suis passé par un moteur de recherche (certainement Yahoo). Le nom de Manga Sanctuary est sorti et j’ai trouvé que ça avait bonne mine. J’avais aussi un site dédié au manga au début des années 2000. C’était de la satire et on se moquait ouvertement des fans un peu trop à fond de manga. On était peu connu, mais souvent insulté. J’avais envoyé un courrier à AnimeLand à cette époque en exposant mes points de vue à ce sujet et en y mêlant rap également. La lettre avait causé un petit bordel: beaucoup de réponses négatives de lecteurs et beaucoup de plaintes par e-mails. AnimeLand avait même dit qu’ils ne pouvaient pas publier toutes les réponses à ma missive dans le magazine, il y en avait trop! J’avais été aussi taxé de raciste par certains lecteurs. On me reprochait aussi mon amalgame manga-rap. Chose amusante vu que je dessine désormais dans le style manga pour le rap et que cet “amalgame” est mon gagne-pain… J’étais un gamin à l’époque, je ne faisais que troller. Mais c’est un peu suite à cette histoire que mes collègues de l’époque ont été saoulés, car je voulais continuer à mettre de l’huile sur le feu, et on a arrêté avec notre site. M’enfin bon, pour en revenir à MS, j’avais contacté Celeste en 2002 pour lui faire part de mon envie d’écrire sur le site. Elle m’avait donné rendez-vous sur le chat MS pour qu’on en parle, c’était assez drôle. J’ai écrit quelques fiches, notamment pour Evangelion et Kenshin si je me rappelle bien. Et je me suis inscrit sur le forum, il n’y avait pas grande monde en ce temps-là. Les premiers noms dont je me rappelle sont ceux de Celeste, Skeet, Sephi, Opaline et Spyd. Même Nookie n’était pas encore membre. Je n’avais pas de potes aussi crochés et connaisseurs en termes de manga et d’anime dans mon entourage, et je regrettais souvent que nos conversations tournaient essentiellement autour des sempiternels Saint Seiya et Dragon Ball. Je voulais partager des choses à un autre niveau avec des personnes aussi passionnées que moi, et la grande famille MS s’y est très bien prêtée.

J’ai petit à petit quitté le forum pour les raisons évoquées plus haut. Mais je suis bien heureux de côtoyer encore virtuellement les membres avec lesquels je m’entendais bien. Je me rappellerais toujours à quel point Nookie m’avait surpris autrefois: derrière ses allures de fan de metal et de hard rock, il était très ouvert d’esprit et avait même écouté un album de Juelz Santana (rires)! En général, les animefans ne sont pas friands de rap et ont tout de suite une vision très négative du style de musique et de ses auditeurs. C’est compréhensible, c’est souvent agité dans le rap. De plus, les opening et ending themes d’anime font surtout la part belle au rock, à la pop, à l’electro. Le rap n’est jamais vraiment rentré dans les moeurs malgré des tentatives comme Samurai Champloo et Afro Samurai. À ce titre, j’ai été un rien choqué lorsque j’ai vu que des personnes avaient lancé une pétition afin d’interdire l’accès à la Japan Expo au Youtubeur/rappeur Cortex, de peur que sa présence attirent racailles en tout genre. Venant d’animefans, j’ai trouvé ça regrettable au possible. Ils demandent respect et tolérance mais sont incapables de l’appliquer à d’autres. Ils regrettent qu’on les évalue sur la base de préjugés, et c’est pourtant exactement ce qu’ils font avec la sphère hip-hop. Dans ce cas précis, je ne parle que des signataires de la pétition (quoique). Je n’ai jamais été du genre à cacher mes goûts en matière de rap et mes affiliations au milieu, et j’ai vraiment apprécié le fait que personne ne m’ait jamais saoulé avec ça sur MS. Un fait rare qui méritait d’être souligné, car je n’ai pas souvent eu droit au même accueil sur d’autres forums. C’est sans nul doute la raison pour laquelle j’y suis resté pendant autant d’années et que je suis toujours connecté à certains membres que je considère vraiment comme des amis.

Au fait, il y a un magasin de manga à Genève qui a une de vos bornes. Quand je l’y ai vue, j’ai totalement halluciné. J’ai réalisé à quel point MS avait fait son bout de chemin aussi!... Bravo à vous en tout cas, j’aime ce genre d’expansion à l’américaine!

 

Si nous parlons de toi aujourd’hui c’est que tu viens de sortir ton artbook “Memory Lane” dont une partie des bénéfices sont reversés à la Ligue Genevoise contre le Cancer (www.lgc.ch). Comment t’es venue l’idée de réaliser cet artbook ?

Bonne question. Depuis 2008, je fais le plus souvent des collaborations avec des artistes rap, des mandats. Durant l’hiver 2013-2014, Sarah Àlainn, oui encore elle, m’avait arrangé un business meeting à Tokyo pour bosser avec Honda. À cet effet elle m’avait demandé de préparer un portfolio, chose que je n’avais jamais faite. J’ai ainsi bidouillé un portfolio qui est devenu une pré-version d’artbook. Et ça a été le déclic. Pour moi qui n’avais pas fait de projet personnel depuis très longtemps, je me suis dit que le moment était venu vu que j’avais assez de matériel pour sortir mon premier recueil d’illustrations. “Memory Lane” reprend des dessins que j’ai faits de 2008 à 2014, dont des inédits. Le thème de la mémoire y est omniprésent. Le dessin de couverture représente le quartier où je vivais à Tokyo en 2011. Et par mémoire, j’entends aussi la mémoire de ma mère, décédée du cancer vers Noël en 2011. Elle qui m’a toujours encouragé à embrasser mes objectifs liés au dessin, je me devais de lui rendre un hommage en lui dédiant ce livre. Sans elle, je n’aurais certainement pas réalisé tous ces rêves de gosse, qu’il s’agisse de bosser avec des artistes dont je suis fan depuis des années, ou encore aller vivre au Japon. Une part des bénéfices faits sur les ventes du livre sont reversés à la Ligue Genevoise contre le Cancer avec qui je me suis associé. Divertir les gens tout en faisant un beau geste, c’est la ligne directrice que je me donne à partir de “Memory Lane”.

 

Une grande partie de tes influences viennent du manga, quels sont tes auteurs et séries préférées ?

Mes influences visuelles viennent clairement du manga. Pour ce qui est de l’humour, je préfère ce qui se fait en bande dessinée franco-belge, mais j’y reviendrai. Mon dessinateur préféré est sans conteste Yoshiyuki Sadamoto, le character designer de Neon Genesis Evangelion. EVA est également mon anime favori et je suis littéralement fou amoureux des personnages féminins à qui Sadamoto a donné vie. Rei, mais surtout Misato, quelle femme! Elle picole, se balade les trois-quarts du temps à moitié à poil, et elle se bat pour les choses auxquelles elle croit… Ah, les femmes de conviction, voilà ce qui fait chavirer mon coeur. Les derniers films d’EVA rendent bien hommage à cette facette de Misato, ce qui est dur pour moi vu que ça ne me fait que l’aimer encore plus! Oui, je suis dingue de Misato, je rêve secrètement de l’épouser, mais chut.

 

 

J’adore Tôru Fujisawa autrement, notamment pour son travail sur Shonan Junai Gumi et les GTO en général. C’est naïf, drôle, dynamique, fougueux, spontané, fait avec le coeur. J’aime aussi beaucoup comment Fujisawa dessine les filles, il sait aller à l’essentiel. La représentation du Japon faite dans GTO est d’une justesse assez rare également. Malgré la forte dose de gaudriole et de n’importe quoi, le style de vie nippon est très bien dépeint. J’ai eu la chance de pas mal traîner dans la région du Shonan (entre Yokosuka et Yokohama surtout) et c’était toujours drôle de se dire “ah oui, c’est dans Shonan Junai Gumi ça!”. Idem pour Tokyo. Le fait d’être devenu familier avec l’environnement représenté dans l’oeuvre de Fujisawa m’a fait encore plus aimer son travail. Et m’a fait également réalisé qu’il y avait pas mal d’erreurs dans l’édition française de Pika au passage...

Autrement, Dieu que j’aime Mushishi de Yuki Urushibara. Quel trait, quelle sensibilité, quelle poésie. Elle me fascine pour ça! Sa représentation onirique du Japon me donne vraiment envie d’aller plus voir le côté mystérieux du pays, moi qui suis un grand habitué des villes. Il paraît que l’anime est très bien, il faudra que j’y jette un oeil.

Rumiko Takahashi autrement, surtout pour Maison Ikkoku et Ranma ½. Je crois que c’est la mangaka que j’ai lu qui a un humour se rapprochant le plus du mien. Le plus souvent, les Japonais ne sont pas sensibles aux mêmes registres humoristiques que les Occidentaux, notamment niveau sarcasme (qu’ils prennent très mal). Ils sont très premier degré, et une grande part de l’incompréhension entre nos cultures provient sans nul doute des formes d’humour auxquelles nous sommes le plus habitués. Chez nous, le rire passe beaucoup par le comique de situation, le dialogue, les jeux de mots, le second degré. Il suffit de lire les Astérix du temps de Goscinny pour apprécier la qualité d’écriture, ou plus récemment lire les BD de Manu Larcenet. Ça peut être cru, mais c’est d’une intelligence rare. Au Japon, ce qui fait surtout rire les gens ce sont les gros gags tarte à la crème, à l’image de ce que fait Matsumoto et sa team de comiques dans Downtown. Non pas que je trouve cet humour bête, mais je suis plus sensible à un humour plus finement distillé, plus digeste sur la longueur. Et Rumiko Takahashi, notamment dans Ranma, maîtrise la chose à merveille. Autant Kimengumi High School a tôt fait de me lasser, autant Ranma j’en redemande.

 

Autrement ça fait depuis bien longtemps que j’ai décroché des One Piece, Naruto et compagnie. J’ai commencé la plupart de ces shônen il y a plus d’une quinzaine d’années, et les goûts on forcément évolués. On grandit, on évolue. J’aime plus les seinen tels que Homunculus de Hideo Yamamoto ou encore Goth de Kenji Oiwa, qui sont des classiques à mes yeux. J’aime quand il y a un vrai récit, du fond sur une base poétique ou psychologique bien développée. Hormis Dragon Quest Daï no Daïbôken (enfin Fly là) et Tenchi Muyô (que j’adore toujours, classique), je ne garde pas du tout un souvenir impérissable de la majorité des shônen que j’ai pu aimer autrefois. Au final, je trouve même Dragon Ball (Z) plutôt faible alors que ça a été mon anime/manga favori durant mon enfance. J’applaudis la réussite économique de Toriyama, mais d’un point de vue créatif ça ne me touche absolument pas/plus. Je pense ne plus du tout aimer le shônen en fait. Quelques exceptions cela dit: les OAV de Kenshin, Claymore, Attack on Titan, Full Metal Alchemist. J’aime leur expression du désespoir et de la tragédie. J’ai du mal à les considérer comme des shônen tant ils sont débarrassés de la naïveté propre au genre qui a fini par me lasser. La mise en scène du mal-être humain et de la mort me fascinent, ça ne m’intéresse pas quand c’est trop facile.

 

Ton artbook est disponible en versions numérique et physique, où peut-on se les procurer ?

“Memory Lane” est disponible sur mon site (www.tuan-hollaback.com/content/shops) aux formats physique et digital comme tu l’as dit. Les envois sont bien évidemment internationaux, j’ai eu des commandes du Japon et même d’Irak!... Une part des bénéfices est reversée à la Ligue Genevoise contre le Cancer. Un petit geste pour une bonne oeuvre, j’en fais une affaire personnelle. Je suis bien conscient que je ne vendrai jamais 100’000 copies de mon livre. Le véritable but est de sensibiliser les gens face aux malheurs d’autrui, a la chance qu’on a. Même en s’investissant un minimum, on peut faire une différence. “Memory Lane” c’est une aventure artistique mais surtout une preuve d’amour. Parmi les personnes qui vont lire cette interview, je ne sais pas combien d’entre vous ont encore la chance d’avoir une maman. Ce livre, j’aurais bien voulu que ma mère puisse le lire. Alors qu’on lui avait déjà diagnostiqué un cancer, c’est ma mère qui m’a dit de partir au Japon pour y habiter et réaliser mes rêves. C’était en 2011. Et elle a eu raison, car mon expérience de vie là-bas a changé mon existence pour toujours. J’ai dû toutefois revenir d’urgence en Suisse pour l’accompagner dans ces derniers instants. J’ai alors perdu ma petite copine à Tokyo, mon appartement, des opportunités professionnelles. Mais par dessus tout j’ai perdu la personne que j’aimais le plus au monde. Ma mère m’a offert les derniers instants de sa vie pour que je puisse m’accomplir. Elle ne voulait pas me retenir. Aujourd’hui, le dessin est ma passion et mon travail. C’est une lutte de tous les jours et c’est loin d’être facile. Mais pour ma mère et pour le sacrifice qu’elle a fait, je dois faire en sorte de devenir toujours meilleur, de réussir. C’est une promesse que je lui ai faite par delà la tombe.

“Memory Lane” c’est la première étape de cette promesse. Je pense aussi que c’est la première véritable preuve d’amour que je n’ai jamais faite. Et j’espère pouvoir en faire encore d’autres par la suite. Et à vous qui lisez cette interview, si vous le désirez, si le coeur vous en dit, faites seulement signe si cet ouvrage peut vous intéresser. Ou même si vous ne le voulez pas l’acheter, si vous ne désirez pas en parler autour de vous, pensez à ce que vous pourriez faire pour aider quelqu’un. Si tel est le cas, j’aurai déjà gagné.

Un grand merci à MS, à Oni. Une douzaine d’années plus tard, on est toujours là, et franchement c’est beau! Merci pour tout!

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Skeet

Créateur de Manga Sanctuary et avant tout lecteur de manga depuis la fin des années 80.
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