Critique Le berceau des mers 4

 


Comme beaucoup de lecteurs, je m’impatientais de lire la suite du Berceau des mers, tout en l’appréhendant toutefois. Parce que l’histoire résonnait comme une grande et longue histoire, je fus surprise d’apprendre que ce quatrième tome signait sa fin. Une fin prématurée, précipitée, j’avoue que c’est avec une pointe d’hésitation que je me suis penchée sur ce livre une fois et demie plus épais que la normale. Et c’est contrariée et un peu triste que j’affirme avoir été déçue.


Un crayon fatigué.


A la sortie du premier tome, ce qui m’avait frappé avec enchantement c’était la beauté graphique de l’auteur. Des dessins détaillés et raffinés, cela avait été un vrai coup de cœur visuel que je n’avais d’ailleurs pu m’empêcher de partager ici-même. J’avais cru entrevoir une vraie maîtrise de style ainsi qu’un talent sûr pour faire papillonner les yeux de n’importe quel curieux. Je m’étais sentie comme immergée dans l’univers. Avec un peu d’imagination j’arrivais presque à respirer les odeurs inimitables des ports, à tanguer au rythme de la houle et surtout à percevoir la frénésie et la soif inextinguible d’aventure et de renouveau que devaient ressentir les gens durant la révolution industrielle. J’avais cité Jules Vernes pour comparaison et sincèrement cela en avait le goût.
Malheureusement, dès le 2ème tome j’avais remarqué un changement. Une légère baisse de qualité, qui n’a eu de cesse de s’effondrer jusqu’à la fin. Ce 4ème tome marquant le pire.


Des planches beaucoup trop chargées, des personnages si nombreux qu’ils se ressemblent tous. J’ai perdu l’émoi face au petit Evan pourtant si mignon au début. Adieu la jolie Monica. Même Louis et son frère ont perdu de leur charisme. Tout est brouillon, tout se mélange… J’ai parfois dû m’y reprendre à deux fois pour mettre un nom sur un visage. L’action omniprésente n’aidant pas, je n’ai pris aucun plaisir à m’arrêter sur les détails. Des détails qui se dévoilent dans la représentation des Navires et de leur structure complexe et monumentale. Là, aucune fausse note pour Nagano, excepté que perdus au milieu du reste c’est une nouvelle épreuve à dépouiller, or l’œil déjà fatigué ne parvient plus à en apprécier la beauté.


Je pense sans connaître les tenants et les aboutissant qu’en réalité l’auteur a été dépassée par les délais imposés par son éditeur. Elle avait tant de choses à montrer, à expliquer, à dessiner que sa main a comme été bridée ou brisée. Trop poussée, j’ai ressenti une certaine précipitation ou une obligation plus exactement. Pas de la mauvaise volonté, loin s’en faut, simplement une vitesse d’exécution à la limite du raisonnable. Oui, comme un jeune conducteur en excès de vitesse sur l’autoroute qui ne se rend pas compte qu’il ne maîtrise plus rien. C’est fort dommageable pour les capacités de l’auteur et pour son public qui finalement ne découvre pas son fort potentiel mais plutôt ses limites. C’est assez rare qu’un manga évolue graphiquement dans ce sens et très rare que je sois si déçue.


Un méli-mélo qui coule.


Le scénario évidemment, souffre des mêmes défauts. L’auteur part dans tous les sens. Le passé de Louis, le passé de Niel, du Capitaine, du Duc… le passé de Sophia, puis retour au présent et retour en arrière. Les actions se succèdent sans aucune phase de transition, c’est épuisant psychologiquement et le désir de lire la suite s’essouffle péniblement. Les points de vue passent de A à B, puis à C pour retourner au point A sans réelle logique. La marine qui est à la poursuite du Lady est là, puis plus là, et de nouveau là, c’est Im-bu-vable.


Trop d’informations à enregistrer, trop de pièces à poser, le puzzle amorcé dans le premier tome devient ici un vrai casse-tête à assembler alors qu’au final l’image à révéler est d’un quelconque navrant. On veut nous faire croire à une machination alors qu’il ne s’agit que d’un seul pion à éliminer. Ajouté à cela, la réapparition du papa d’Evan, le comble du ridicule. Sans oublier que tous les personnages présentés comme des individus taciturnes, renfermés ou à l’humeur sévère deviennent des gars aussi doux que des agneaux en un temps record. Tout devient plat, les réactions de Monica sont excessives, Evan gamin de trois ans comprend mieux que des adultes, bref, c’est brouillon et prévisible, et pas très crédible. Et forcément je suis dépitée.


Le premier tome promettait tellement plus d’aventures et de poésie que découvrir que le Cradle n’est qu’un bateau à la technologie innovante que la marine veut posséder pour en faire un navire de guerre c’est… désopilant. De même que les vers en chanson qui ne sont -après tout ce mystère- qu’un simple testament. Heureusement, et c’est le seul point positif, le dernier chapitre se déroulant cinq ans plus tard, amène un vent de fraîcheur bienvenu après 250 pages de lecture indigeste et parvient enfin à nous étirer un léger sourire.


Deuxième essai ?


Je dois cependant admettre que si demain Mei Nagano publiait à nouveau, je lui redonnerais sa chance. En priant que son éditeur ne casse pas trop rapidement son enthousiasme. Le berceau des mers méritait plus de longueur parce que l’univers proposé était riche, complexe et bourré de personnages. L’auteur avait je pense une vision bien différente du déroulement de son histoire. On sent que sous la contrainte elle a fait des choix, interdite à loisir de s’exprimer. Les chapitres bonus à la fin des quatre tomes et exclusivement romancés en sont d’ailleurs le parfait exemple. Elle avait vu plus grand, trop peut-être pour un premier manga. Où peut-être n’est-elle pas destinée à ce métier et qu’une direction vers le roman ou le Light Novel dont elle aurait elle-même la charge des illustrations lui siérait mieux, parce que de mon point de vue elle a beaucoup à nous raconter.


 

KssioP

Continuellement l'esprit ouvert, je n'exclue aucun genre si ce n'est peut-être le genre guimauve ou Arlequin. J'aime cependant ce qui est différent, ce qui surprend. Rêveuse dans l'âme et aventurière chevronnée avec une manette en main, ma table de chevet se couvre de mangas, de romans, de cd's et d'une feuille de papier. Et bien souvent aussi d'un biscuit accompagné d'un thé car lire c'est certes bien mais avec confort et gourmandise c'est juste parfait.
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