Critique March comes in like a lion 1

"Rei, ça signifie zéro, mais c’est parfait pour toi, tu n’as ni maison, ni famille, ni ami. En fait dans ce monde il n’a de la place pour toi nulle part"

Des mots très difficiles pour débuter cette histoire. Rei, 17 ans, maigrichon, renfermé, isolé, très légèrement asocial, se réveille dans un appartement vide. Pas de meuble, des murs blancs, quelques cartons dans un coin, il n’y a pas beaucoup de vie pour rassurer le lecteur. Si ce n’est la grande baie-vitrée inondée de soleil et qui offre une vue magnifique sur le fleuve. Du silence, on suit Rei dans sa préparation matinale très sommaire. Pas de douche, pas de petit déjeuner, il part au boulot tel un robot. Un boulot original certes –joueur de Shôgi- mais un boulot dans lequel il n’a pas l’air de s’épanouir beaucoup si ce n’est pas du tout. La première partie est pliée, Rei gagne haut la main contre un homme d’âge mûr avec lequel il se montre très distant, voire indifférent. Un faux-semblant, cet homme est son père adoptif et on comprend rapidement que la place qu’il tient dans sa vie, dans son cœur, est spéciale mais très compliquée. Il s’émotionne d’un sentiment de culpabilité étrange à son propos.

A ce moment, on pourrait croire que l’auteur va nous amener dans la déprime et qu’un noir nuage va nous remplir le crâne à la fin de notre lecture mais que nenni. Comme à son habitude Chica Umino sait contrebalancer à merveille les émotions. Rei a fait la connaissance d’une famille très chaleureuse composée de trois sœurs et d’un papi au grand cœur. Endeuillés comme lui, ils transpirent cependant la joie de vivre. Des éclats de rire, des disputes, des gros chats qui ne manquent pas de culot, de la nourriture en veux-tu en voilà, c’est un grand charivari au quotidien dans cette maison située de l’autre côté du pont. Rei s’y sent bien. Apaisé en leur compagnie, il prend de plus en plus de plaisir à partager leurs repas. Repas au centre des préoccupations de la sœur ainée, Akari, dont l’objectif dans la vie semble être d’engraisser tous les maigrichons abandonnés, qu’ils soient animaux ou humains. On s’attache toute de suite à cette famille dans laquelle on est plongé sans invitation préalable. Pareillement pour les autres joueurs de Shôgi qui gravitent autour de Rei. Nikaïdô, fils à papa rondouillard, pas du tout snobinard, continuellement chaperonné par son vieux majordome et autoproclamé meilleur ami de Rei est un vrai boute-en-train. Sûr de lui, passionné, entêté, il ne se laisse pas démonter face à son éternel rival, et puis comme je viens de l’écrire il est rond et un chapitre très amusant et surprenant fait sourire vers la fin.

Le passé de Rei n’est pas expliqué clairement, il n’est pas linéaire, on découvre comme les pièces éparpillées d’un puzzle, les monceaux de sa mémoire un peu au hasard et au lecteur attentif de doucement reconstituer toute l’histoire. C’est pour moi la force de l’auteur. Tout comme avec Honey and Clover, elle sait où aller et sur quel pied danser pour placer juste ce qu’il faut d’intrigue. On s’interroge et en même temps que Rei qui navigue entre deux eaux, on réfléchit. On tend à grandir d’une certaine façon. C’est crédible, réaliste et un peu poétique.

Très, s’il l’on s’attarde au style graphique. Là, inutile de tergiverser, on aime ou on n’aime pas, c’est à double tranchant. Trop brouillon diront certains, je suis fan personnellement. La pâte reconnaissable entre toutes de Umino m’avait manquée. Il y a un côté mignon dans son trait, un côté enfantin qui procure tout de suite l’émotion. Ses planches sont encrées de détails, l’œil doit regarder dans tous les coins pour ne pas oublier un minuscule dessin. Des petites touches humoristiques qui arrivent toujours à point nommées pour dérider le lecteur. Ajoutés des paysages de la ville qui font chaud au cœur, un vrai tableau en noir et blanc. L’auteur ne nous délaisse jamais longtemps dans un sentiment négatif, et c’est ce juste équilibre qui rend la lecture aussi fluide que rapide.

KssioP

Continuellement l'esprit ouvert, je n'exclue aucun genre si ce n'est peut-être le genre guimauve ou Arlequin. J'aime cependant ce qui est différent, ce qui surprend. Rêveuse dans l'âme et aventurière chevronnée avec une manette en main, ma table de chevet se couvre de mangas, de romans, de cd's et d'une feuille de papier. Et bien souvent aussi d'un biscuit accompagné d'un thé car lire c'est certes bien mais avec confort et gourmandise c'est juste parfait.
Commentaires (0)