Chronique : Goth

Derrière son titre a priori évocateur, sa jaquette et sa tranche toutes de noir vêtues, Goth ne manque pas d'intriguer lorsque l'on croise l'ouvrage dans les rayonnages. Mais si le mot « gothique » vous fait penser à de vieilles demeures pourrissantes ou à des demoiselles en robes de dentelle noire, allez voir ailleurs, car les seules choses pourrissantes qu'il y a à voir ici, ce sont les cadavres.
La définition de « gothique » d'Otsuichi, auteur du roman d'origine, se résume en effet à une attraction pour le morbide. On pourra grincer des dents tant qu'on voudra, il s'agit là de son interprétation du terme, faisant de Goth un polar tout ce qu'il y a de plus classique mettant en scène deux adolescents fascinés par les (étrangement nombreux) tueurs en série sévissant près de chez eux et se lançant sur leurs traces.
 

© OIWA Kenji / Kadokawa


Le volume comporte quatre « enquêtes », hélas toutes plus ou moins bâties sur le même schéma bancal, impliquant l'enlèvement de Yoru par le détraqué du chapitre avant que Kamiyama ne débarque pour la sauver. Une fois, pourquoi pas ; quatre fois, niveau crédibilité, on a vu mieux, et ce même s'il est explicitement dit que la demoiselle « attire les tordus comme un aimant », comme pour mieux justifier ce manque de renouvellement.
Le principe s'avère en revanche un peu plus intéressant lorsque l'on sait que Kamiyama n'intervient pas par esprit chevaleresque pour sauver sa belle ni pour envoyer les criminels derrière les barreaux, mais bien pour satisfaire sa curiosité, côtoyer les tueurs au plus près possible, discuter avec eux voire aller jusqu'à les faire tourner en bourrique ou récupérer des trophées au passage. En résulte une ambiance malsaine au possible, voulue par les auteurs, et parfaitement réussie, donnant un certain charme à l'oeuvre et ce en dépit du côté redondant des scénarii. Du côté de la narration, pas grand-chose à redire ; s'il y a bien d'occasionnels passages plus confus, le genre même de l'histoire gomme généralement la frontière entre ce qui est fait exprès et ce qui relève de la maladresse, même si pas toujours.

Visuellement, si le manga n'a rien d'extraordinaire la majorité du temps, sans être laid pour autant, Ôiwa Kendi connaît son métier et maîtrise à la perfection la mise en scène, sublimant ainsi l'histoire. Pour commencer, sa gestion du cadrage et des angles de vue est remarquable. Plongée, contre-plongée, placement des onomatopées, rien n'est laissé au hasard. Ensuite, il nous offre de temps à autre des planches plus travaillées et sublimement glauques, à la hauteur des psychopathes mis en scène. A ne pas mettre entre les mains les plus sensibles, donc. Le mangaka fait enfin une utilisation judicieuse du décor dans le troisième chapitre, noyant les pages de feuilles d'érable virevoltantes, débordant des cases comme une parodie automnale des fleurs envahissant les shojo, accompagnant la descente aux enfers de l'un des personnages.


© OIWA Kenji / Kadokawa


Bref, si les enquêtes dans Goth ne valent vraiment pas grand-chose, le one-shot s'avère déjà plus intéressant au niveau de son concept global, et la maestria de l'illustrateur pour la mise en scène achève de le sauver. Le truc ne restera peut-être pas dans les annales, mais fera passer un moment de lecture certes court (le volume se lisant en effet plus vite qu'un tome « lambda »), mais pas désagréable.

Côté édition, Pika ne s'en sort pas mal du tout, en commençant déjà par nous sortir un bel objet (vernis sélectif, tranche colorée), mais aussi en nous épargnant coquilles ou encre baveuse (ce qui, vu la quantité de noir sur certaines pages et la présence de texte en blanc, aurait très vite mené à la catastrophe).

Pois0n

http://twitter.com/Svetlana_Mori Auteur de romance fantasy et paranormal romance. Photographe amateur, amoureux de musique hardstyle, gameur, dolleur, ayant vendu son âme à Domino's pizza.
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