Le RDV de Tecchin: Chihayafuru

Le manga féminin et l’ethos du sport

Chihayafuru T.1


Au japon, le waka (une forme de poème en 31 syllabes, découpées en 5, 7, 5, 7, 7 ) fait partie du corpus de manuel de cours de japonais, et les japonais modernes sont plus ou moins initiés à cette forme de poésie, perpétuée depuis l’antiquité. Chihayafuru, de Yuki Suetsugu, met en scène pour la première fois dans l’histoire de manga le jeu de karuta, mais en lui-même le sujet traité n’est pas étranger pour un Japonais.

Même si la plupart des poèmes du hyakunin isshu (le recueil de cent poèmes avec lequel on joue au karuta) sont des poèmes d’amour, le jeu de karuta est un sport, et pour devenir un bon joueur il faut s’entraîner durement, tant au niveau physique que mental.

Chihayafuru est donc un manga de sport, dont les stratégies et méthodes d'entrainement sont expliquées avec réalisme. La lecture de ce manga peut vous donner envie de jouer à ce jeu ; si c’est le cas c’est une preuve de sa qualité.

L’oeuvre de Suetsugu est publiée dans le magazine BE LOVE de Kôdansha, destiné au public féminin (nous allons laisser pour l’instant de côté la différence entre les genres shôjo et josei ). Sans s'étendre sur le genre shôjo, nous percevons les caractéristiques typiques de ce manga, comme l’utilisation massive de monologues et d’effets derrière le personnage. Suetsugu joue donc beaucoup sur les codes du genre shôjo, en ajoutant à cela une logique de manga de sport à la manière des shônen.

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© 2009 Yuki Suetsugu / KODANSHA

Ce monologue de Taichi explique la situation du match, et ce n’est pas l’épanchement d’un sentiment amoureux qui nous est familier dans un shôjo. Dans un shônen, ce genre d’explication d’une situation est faite sous la forme de parole explicite d’un personnage (souvent spectateur). La dessinatrice détourne la fonction du monologue dans un shôjo au profit de la logique de manga de combat de style shônen.

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© 2009 Yuki Suetsugu / KODANSHA

Un autre exemple du mélange entre les genres shônen et shôjo dans ce manga, c’est le rapport entre le style de dessin, typiquement shôjo, et le sujet traité. Les pleurs de Chihaya après sa défaite catastrophique contre la championne, ne sont pas ceux d’une héroine de shôjo affligée par un chagrin d’amour. Ces pleurs ne sont pas inspirés par un éphémère sentiment de tristesse, mais par la volonté constante de devenir plus forte dans la compétition. Chihayafuru met en évidence l’idéologie de manga shôjo en introduisant les éléments typiquement shônen. Ce manga met plus l'accent sur l’évolution des personnages, en tant que joueurs, que sur le changement de leurs relations (amoureuses). Le thème du ménage à trois entre Chihaya, Taichi et Arata reste traité de manière allusive.

C’est paradoxal, mais plus ce manga se rapproche d'un shônen, plus il se révèle comme un shôjo. Vous pourrez lire ce manga, soit comme un shônen, soit comme un shôjo. Cela dépend de votre degré d’attachement à un genre ou à l'autre. Mais, Chihayafuru est un manga destiné à tous les amateurs de manga, et Suetsugu va satisfaire votre appétit pour cet art visuel.

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